Académie du Morvan
Table ronde de l'Académie du Morvan année 2017
Le 50ème anniversaire de l'Académie du Morvan
Autun 9 septembre 2017
Retour à
l'Ecole Par Henri Mitterand
Je réponds à la demande de notre président, Jean-Marie de Bourgoing, qui
cherchait un Morvandiau d’autrefois, en outre membre de l’Académie, pour parler
du Morvan, non pas antique, mais ancien. – Il a considéré que j’étais un de ses
rares confrères à satisfaire à ces deux critères. Je n’ai cependant accepté que sur
son insistance, car mes titres à parler ici sont fort limités. Je ne suis ni
historien, ni mémorialiste, ni résident morvandiau. Tout de même, et c’est ce qui a alerté notre
Président, je suis Morvandiau de souche par mon père, lui-même fils d’un
sabotier de Glux, lequel était l’époux de la fille de Lazare Pauchard, autre
paysan de Glux, compagnon de Bulliot pendant ses campagnes de fouilles sur le
Beuvray. Mon père, qui lui aussi avait appris le métier de sabotier,
appartenait à la classe 11 : il fit donc trois ans de service militaire,
au 29e d’Infanterie, régiment du Morvan, avant d’être envoyé dès le début de la
Grande Guerre sur le front d’Alsace, d’être blessé dans les combats de
Sarrebourg, à la fin d’août 14, et d’être fait prisonnier sur son lit d’hôpital
– ce qui, très probablement, lui sauva la vie, si l’on songe aux innombrables
jeunes morvandiaux dont le nom figure sur les monuments aux morts de nos
villages.
Je suis cependant, pour une part,
un Morvandiau hors les murs, né près de la ville-porte du Nord du massif,
Avallon, sur le calcaire, à quelques encablures du granit morvandiau. J’ai
réintégré très tôt le Morvan, à l’âge de trois ans, pour une période
de huit années, et c’est ce qui justifie les quelques propos que je vais
tenir, et qui évoqueront l’une des réalités autunoises d’autrefois : l’école
publique, à partir des images que j’ai pu en conserver. Qu’on ne s’attende pas à une étude en bonne
et due forme. Je ne pourrai proposer que quelques petites touches mémorielles,
qui ont au moins le mérite de l’image vécue.
En 1931, mon père, qui après la
guerre était entré au P.L.M., la compagnie Paris-Lyon-Méditerranée, a été nommé
à Autun. Nous avons alors habité au 37 de la Grande-Rue Chauchien, puis en
1938-1939 en bas de la rue de la Grille, tout près de la Gare, avant de quitter
Autun à l’été de 1939 pour un retour dans l’Avallonnais. L’école Mazagran a disparu depuis
longtemps, laissant place à un service administratif. Je ne sais si les locaux
ont subsisté tels quels. Je me rappelle une cour, qui nous paraissait grande,
mais qui était trop petite pour qu’on y joue au foot, ou à un sport alors plus
populaire à Autun, le rugby. Le bâtiment principal, perpendiculaire à la rue
Mazagran, s’étendait parallèlement à la cour de récréation, face à la muraille
d’enceinte, fondue dans le rempart de l’autre côté duquel passait le boulevard.
A la suite de l’appartement du directeur, se succédaient deux salles de classe,
dont la première était celle des élèves de CM2, la classe supérieure. Au fond
de la cour, s’ouvrait le passage vers un autre bâtiment, plus petit, où se
trouvaient celles du cours préparatoire et du cours élémentaire. Le décor et l’ameublement des
classes n’avait sans doute guère changé depuis le temps de Jules Ferry. Ce
temps était aussi, dans leur enfance, celui des écrivains de l’avant-première
guerre mondiale qui s’inspirèrent de leurs années d’école pour écrire des
romans nostalgiques, mi-dramatiques, mi-burlesques, et jamais oubliés : Le
Grand Meaulnes, La Maternelle, La Guerre des boutons. Alain Fournier, Léon Frapié,
Louis Pergaud, emportés, comme Charles Péguy, dans ce conflit monstrueux dont
on commémore de nos jours les principaux épisodes. Je me souviens de l’estrade et de
la table du maître, des pupitres de bois à plan incliné, nantis d’un siège à
deux places, de deux trous munis d’un encrier en faïence blanche, d’une rainure
pour y poser les porte-plume, et de deux casiers. Certains amoureux des
héritages du passé les achètent aujourd’hui chez les brocanteurs. Plusieurs rangées de pupitres alignées
successivement, sous le regard du maître. Derrière l’estrade, au mur, un
tableau noir, et sur les côtés quelques grandes cartes de géographie en
couleurs. Dans la salle du Cours supérieur, une armoire-bibliothèque, pour les
livres dits d’enfants : Bibliothèque verte, Sans famille d’Hector Malot,
Les Enfants du Capitaine Grant de Jules Verne, Croc-Blanc de Jack London,
Oliver Twist de Dickens….
La semaine comptait cinq jours de
classe, du lundi au samedi, avec le congé du jeudi. La journée se répartissait
en deux sessions, de 8 h à 11h et de 13h à 16h.
D’où ces expressions populaires démodées aujourd’hui : « les
quatre heures » pour le goûter, la « semaine des quatre jeudis »
pour une semaine sans obligation de travail.
Les programmes faisaient la part
belle à la langue française, dictées, grammaire, lecture, rédaction,
récitation, et au calcul, avec l’apprentissage des tables de multiplication et
la pratique des quatre opérations. Je me rappelle le rituel quotidien du cours
élémentaire, où dès le début de la matinée le maître se déplaçait d’un rang à
l’autre et requérait de quelques élèves pris au hasard, soit la récitation, sur
le mode chantonnant, d’une des tables, soit la réponse à une question
impromptue : « 7 fois 6 ?
9 fois 8 ? » ... A quoi
s’ajoutaient chaque semaine les leçons d’histoire, époques successives, grandes
dates, grandes figures de l’histoire nationale ; et les leçons de
géographie, avec la récitation imposée de la distribution administrative des
départements (« Yonne : Chef-lieu ? Auxerre ». « Sous-préfectures ? Avallon,
Tonnerre, Joigny, Sens ») …
Aux « leçons
de choses » était réservé l’intérêt porté aux paysages et à la faune
familiers aux jeunes Autunois. L’éducation physique n’était pas oubliée, mais
elle se limitait à une ou deux séances hebdomadaires d’exercices
d’assouplissement, exécutés dans la cour sous la direction du maître. Hélas,
point de musique, ni d’éveil aux arts. Nous avons seulement appris à chanter la
première strophe et le refrain de la Marseillaise. Mais nous l’avons entendue,
jouée par l’orchestre municipal, qui s’appelait « La Cécilienne »,
lors des distributions annuelles des prix, lesquelles se tenaient
solennellement dans les locaux de l’Hôtel de Ville, en présence des notables et
des familles.
Chaque demi-journée
comptait un quart d’heure de récréation. Point de matches de football ou de
rugby, je l’ai dit, mais plutôt des parties de « balle au chasseur »,
et surtout de billes ou d’osselets. Le tout sous l’œil attentif d’un maître,
voire du directeur, attentif à ce que les disputes éventuelles ne tournent pas
à la bagarre.
L’école de la rue
Mazagran, et celle de la rue Bernard-Renault, deux écoles publiques et laïques,
se trouvaient dans la partie basse de la ville. Les écoles privées étaient
installées dans la partie haute, dans le quartier proche de la Cathédrale,
ainsi le Petit Séminaire de la rue Saint-Antoine. La distinction était à la
fois topographique et sociale. Dans les écoles publiques, la majorité des
élèves provenaient de familles modestes Les enfants qui y entraient et en
sortaient aux heures prévues portaient pour la plupart un tablier noir, et, les
jours de pluie et de froid, un capuchon de drap noir, couvrant le haut des
épaules et descendant jusqu’aux genoux, avec une capuche qui se rabattait sur
la tête. Aux pieds, des souliers, des
sandales ou des galoches, selon l’époque et l’état de l’atmosphère. Dans le cartable, le
traditionnel plumier, les manuels, lecture, histoire, géographie, sciences
naturelles, et le « cahier du soir » pour les devoirs à la maison et
les poésies à apprendre par cœur.
Le « cahier du
jour », avec ses dictées, ses opérations et ses problèmes, ses résumés
d’histoire et de leçons de choses, étaient remis au maître avant la sortie de
chaque jour, pour la correction et la notation des exercices. On venait à
l’école à pied. Pas de vélos. Pas de transports en commun intérieurs à la
ville. Les rares sorties collectives se faisaient à pied et en rangs. Il nous
est ainsi arrivé de descendre, par le quartier de la Porte d’Arroux, jusque sur
les bords de l’Arroux. Le maître, sur place, nous donna les premières leçons de
natation.
Telle était
la vie tranquille de l’école de la rue Mazagran. Je ne me souviens pas qu’elle
ait été troublée par les agitations populaires de l’année 1936, ni à l’automne
de 1938 par la menace d’une nouvelle guerre franco-allemande, ni par les
dissensions qui suivirent en novembre de cette même année l’entrevue de Munich
entre les dirigeants français, allemands, anglais et italiens.
En revanche, je me rappelle
l’arrivée, sans doute au cours de l’année 1938, de quelques garçons espagnols,
réfugiés d’Espagne, soit venus avec leurs parents républicains, soit envoyés
par les organismes d’entraide, pour les faire échapper à la guerre civile et à
la menace des troupes franquistes. Le
directeur de l’école, M. Meunier, les avait accueillis et avait commencé à les
scolariser. Ils apprenaient quelques mots de français, notamment en jouant avec
nous aux billes. Il se peut bien que certains d’entre eux, accueillis par des
familles autunoises, soient restés sur place et, comme on dit, aient fait
souche à Autun. Quelques-uns se sont
peut-être engagés sept ans plus tard dans les maquis du Morvan.
Je viens d’évoquer
ce M.Meunier. Il était un des trois maîtres qui m’ont laissé un souvenir jamais
effacé, pour des raisons diverses. Le
second s’appelait Pagneux, il enseignait au cours élémentaire, et c’est son image
que je revois lorsque je me rappelle la récitation des tables de multiplication
et des chefs-lieux de départements. Mais mon souvenir le plus ému, le plus
admiratif et le plus reconnaissant va à celui qui remplaça son collègue Meunier
à la direction de l’école à la rentrée d’octobre 1938, et qui enseignait au
Cours Supérieur, conduisant au Certificat d’Etudes Primaires. Il s’appelait
Jean Vittaut. J’ai été son élève en cette année 1938-1939, et je crois bien que
je lui dois, sinon toute ma destinée ultérieure, du moins son début, qui fut décisif,
comme dans le cas de beaucoup d’autres enfants de l’école publique qui eurent
la chance d’être distingués par leur instituteur, encouragés et aidés par lui
et envoyés passer le concours des bourses. En l’occurrence, en juin ou juillet
1939 – je n’ai plus en tête la date exacte –un aller et retour à Mâcon et une
journée d’épreuves du type du certificat d’études. Grâce à quoi, à la rentrée
suivante, j’ai été admis au collège d’Avallon en qualité de demi-pensionnaire,
sans frais.
Je me permets
d’ouvrir une parenthèse. Un quart de
siècle plus tard, à Paris, dans les séminaires de linguistique du professeur
Robert-Léon Wagner, j’ai fait la connaissance d’un excellent collègue de la
Sorbonne, spécialiste à la fois de la langue et de la littérature médiévale et
de la dialectologie moderne. La linguistique française et l’origine morvandelle
commune nous rapprochèrent pour une longue amitié : c’était Claude
Régnier, Autunois, dont la thèse sur les parlers du Morvan, publiée par
l’Académie du Morvan, est un des grands classiques de la
recherche sur l’histoire, la société et les langues morvandelles ; Claude
Régnier, qui fut un des fondateurs, en 1967, de l’Académie, et à l’œuvre duquel
il est juste de rendre hommage aujourd’hui. Or, c’est à cette époque que nous
fîmes par déduction une découverte qui nous amena à relativiser la notion de
hasard : mon épreuve de français au concours des bourses de 1939 avait été
corrigée par Claude Régnier, alors jeune professeur agrégé au lycée de Mâcon.
Une boucle autunoise se refermait. La guerre éclata
deux mois après la sortie des classes.
Jean Vittaut, capitaine de réserve, fut mobilisé. Quelques semaines plus
tard, élève de 6e au collège d’Avallon, je le rencontrai, par grand hasard, à
la gare d’Avallon, dans son uniforme à trois galons. Il avait trois fils, dont
le plus jeune, Philippe, avait mon âge. Démobilisé après l’armistice, il reprit
son poste. Il m’arriva de revenir à Autun et de vivre de belles journées de
camaraderie avec les trois garçons – perdus de vue depuis lors. Jean Vittaut,
exigeant dans son patriotisme comme dans sa conception de l’école républicaine,
avait des activités de résistance, évidemment clandestines. Dans les derniers
mois de l’Occupation, il s’engagea et reprit ses galons d’officier au maquis Socrate,
jusqu’à la Libération d’Autun. Au cours des dix années suivantes, nous avons
conservé des relations épistolaires. Je lui vouais une intense reconnaissance,
pour son enseignement, pour son initiative décisive, pour sa confiance. Il
avait accepté dans la section de Saône-et-Loire de la Mutuelle de l’Education
nationale, des fonctions importantes, qui l’amenaient à circuler beaucoup dans
le département. En 1955, sa mort accidentelle, brutale, au volant de sa
voiture, suscita beaucoup d’émotion parmi tous les enseignants de
Saône-et-Loire, et me causa une grande tristesse.
On parle, par
dérision, de pédagogisme pour désigner un corps d’idées et de consignes qui se
veut moderne et généreux, mais qui s’est transformé au cours des vingt
dernières années en un ensemble de développements théoriques et d’instructions
normatives, sans pour autant atteindre aux succès escomptés, et qui aurait sans
doute suscité des sourires incrédules chez les maîtres que j’ai cités.
Enumérons simplement, pêle-mêle, quelques-uns de ces aphorismes qui forment
ensemble le socle de la doctrine pédagogique issue de ce qu’on appelle de nos
jours les « sciences de l’éducation » :
1. -La classe idéale est active. L’élève doit
être mis en mesure de découvrir par lui-même le savoir.
2. -L’enseignement magistral est tenu en
lisière. Il n’y a plus de maîtres, mais des enseignants, ou mieux encore, des
animateurs, qui ont pour rôle de susciter les questions, d’animer les débats et
d’imaginer les activités collectives propres à engendrer la connaissance.
3. -La grammaire, l’histoire, la
géographie, les sciences ne s’enseignent pas
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